Le Courrier des Balkans


Stand up, People : la Yougoslavie de Tito, l’âge d’or de la pop tzigane


vendredi 31 mai 2013
Du temps de la Yougoslavie titiste, les Roms bénéficiaient du statut de minorité et les autorités promouvaient leur culture et leur langue. Ils ont profité de leur reconnaissance pour créer dans les années 1960-70 une musique unique, fusion des chansons traditionnelles et des musiques modernes occidentales (pop, jazz) et orientales (Bollywood). Une compilation retrace la magie de cet âge d’or de la pop tzigane. Le Courrier des Balkans a interrogé l’un des deux Anglais à l’origine de ce projet.

Propos recueillis par Simon Rico


Courrier des Balkans (CdB) : Comment est née l’idée de ce projet, de parcourir les Balkans pour y chercher des vieux vinyles de musique rom et d’en faire une compilation ?

Philip Knox (P. K.) : La musique des Balkans nous a toujours fascinés Nat (Nathaniel Morris, l’autre moitié du duo de Vlax Records à l’origine de la compilation, NDLR) et moi. Lors de nos nombreux voyages dans la région, nous avons entendu de la musique rom dans les mariages, dans la rue et dans les kafanas. Nous connaissions les stars roms de l’ancienne Yougoslavie, Šaban (Bajramović) et Esma (Redžepova), nous avons commencé à collectionner leurs disques, puis on s’est mis à chercher toute la musique rom qu’on pouvait trouver. C’est comme ça qu’on s’est rendu compte que la Yougoslavie des années 1960-70 avait une scène tzigane gigantesque et vibrante, sûrement la plus vibrante de toute l’Europe du sud-est. Et puis à un moment, il est devenu évident que l’on devait partager cette musique, et nous avons essayer de raconter cette histoire.


CdB : Les musiques populaires roms ont été popularisées par Goran Bregović et les films d’Emir Kusturica. Pourquoi vous êtes-vous intéressés seulement aux enregistrements anciens. Vous vouliez montrer qu’il existait autre chose ?

P. K. : À titre personnel, j’ai toujours eu une relation un peu problématique avec la manière dont Bregović utilise de la musique rom. Il a été accusé d’avoir exploité les chanteurs qui avaient à l’origine écrit et joué ces musiques. Mais par-dessus tout, ça m’énerve que les gens ne voient la musique tzigane que comme un truc pour faire la fête avec un coup de rakija dans le nez alors qu’en réalité, elle est subtile, sophistiquée et intelligente.


CdB : Vous avez voyagé tout autour des Balkans pour dénicher les disques qui vous ont servi à assembler Stand up, People. Avez-vous remarqué des différences dans la composition et l’orchestration suivant les régions ?

P. K. : La musique rom est d’une incroyable diversité dans les Balkans. C’était d’ailleurs l’une des difficultés dans notre projet, essayer de montrer une telle diversité en un seul disque. En Voïvodine, dans le nord de la Serbie, la musique rom s’appuie sur un violon rapide, comme on l’entend dans les enregistrements des légendes Alexandr Šišić et Duško Petrović, et malheureusement, on n’a pas trouvé de place pour eux dans ce disque. Les musiques du sud de la Serbie et de Macédoine ont elles aussi leurs différences. Peut-être que la musique la plus particulière dans Stand up, People, c’est celle du Kosovo (Hajda Sučurija, Nehat Gaši), qui a un son incroyable, sous influence ottomane, avec des passages proches de la transe. Ils utilisent parfois un oud, ce qui était apparemment unique à l’époque au Kosovo.


CdB : On entend les stars incontournables de la scène rom ex-yougoslave, Šaban Bajramović et Esma Redžepova, dans votre compilation, mais avec des titres rares, et surtout des artistes inconnus ou presque. Comment avez-vous fait votre sélection ?

P. K. : Nous voulions montrer les grandes vedettes de la scène des années 1960-70. Esma et Šaban sont devenus célèbres en Europe de l’ouest, mais Muharem Serbezovski est aussi très connu en Yougoslavie, et nous devions le mettre en avant dans ce disque. Nous avions également le sentiment qu’il était important de faire découvrir des artistes beaucoup moins célèbres - certains n’ont enregistré qu’un ou deux disques -, pour que les gens se rendent compte de la richesse de la musique rom à l’époque. Plus que tout, nous voulions montrer l’influence de gens aujourd’hui oubliés comme Medo Čun, qui est derrière de nombreux titres anciens d’Esma et Muharem. C’est génial qu’on ait pu inclure une partie de son travail solo.


CdB : Ce disque s’intéresse seulement à la musique rom à l’époque de la Yougoslavie titiste. C’est parce que la musique était meilleure pour vous à ce moment-là ou parce que vous vouliez parler d’une époque où les Roms étaient mieux considérés ?

P. K. : C’est un fait tragique qu’après la mort de Tito et l’inévitable éclatement de la Fédération, la culture rom a plongé. Il y a toujours de nombreux musiciens incroyables dans les pays issus de la Yougoslavie, mais on a l’impression qu’ils ne bénéficient plus de la même reconnaissance que dans les années 1960-70. Cela ne veut pas dire que sous Tito c’était le paradis pour les Roms, il y avait de nombreuses discriminations et peut-être que cette apparente acceptation n’était qu’une façade. Il est néanmoins indéniable que de nombreux Roms enregistraient des disques en tant que Roms, qu’ils chantaient en romani, dans les grands studios yougoslaves. Ils sortaient leur musique et n’importe qui pouvait l’apprécier.


CdB : Il y a souvent une certaine Yougonostalgie dans les pays issus de la Yougoslavie. Avez-vous constaté aussi cela chez les Roms que vous avez rencontrés ?

P. K. : Chez les Roms les plus âgés, la Yougonostalgie est très forte. Ils parlent beaucoup du temps où tout le monde avait du travail et vivait plus facilement. Ceci dit, qui sait si ce n’est pas seulement de la nostalgie ? Les jeunes sont un peu plus sceptiques, mais ils ne pensent sûrement pas que la Macédoine ou la Serbie soient une sorte de paradis.


CdB : Vous avez choisi de terminer votre compilation par une version un peu spéciale de Djelem, Djelem, l’hymne des Roms. Vous pourriez nous en dire un peu plus sur ce morceau ?

P. K. : Djelem, Djelem est une vieille chanson traditionnelle rom. Il semblerait qu’elle trouve son origine pendant la Seconde Guerre mondiale, certaines versions d’ailleurs évoquent la « Légion noire », ce régiment oustachi qui a tué de nombreux Roms. C’est à partir de cette version de la chanson, que nous avons titré la compilation, traduction en anglais d’un des vers : « Ušti Roma Akana ». Il s’agit d’une adaptation pop-rock par un groupe monténégrin. Le fait que ce morceau figure sur un 45 tours de pop, avec sur l’autre face une reprise des Bee Gees, montre à quel point la culture rom était alors devenue grand public en Yougoslavie.


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• Écoutez le mix spécial de Philip Knox pour Balkanophonie :
Stand up, People : l’âge d’or de la pop tzigane yougoslave (1964-80) http://www.balkanophonie.org/stand-up-people-l-age-d-or-de-la
• Retrouvez le CD sur notre boutique en ligne :
Stand Up, People : Gypsy Pop Music in Yugoslavia (1964-80) http://balkans.courriers.info/article22601.html




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